le Vendredi 17 janvier 2025
le Jeudi 23 mars 2023 8:47 Société

Jeanne Carrière: L’opération qui change tout

Jeanne Carrière a subi une chirurgie qui va lui permettre de récupérer en partie l'usage de ses mains. Deuxième partie de notre portrait d'une jeune Lachutoise inspirante.
Jeanne Carrière: L’opération qui change tout
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Deuxième partie de notre portrait de Jeanne Carrière. La première partie est ici: https://le-regional.ca/2023/03/16/jeanne-carriere-de-lombre-a-la-lumiere/

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Clouée à un fauteuil roulant pour le reste de ses jours, Jeanne Carrière a démontré une force intérieure incroyable pour retrouver le goût à la vie malgré sa nouvelle condition. Mais une chirurgie innovante l’a aussi grandement aidée pour retrouver un usage partiel de ses mains. Suite du portrait d’une jeune Lachutoise inspirante.

Le 31 décembre 2021, alors que s’écoulent les dernières secondes de l’année, seule sur son lit d’hôpital, Jeanne Carrière fait ce constat: «Je me suis dit que ça ne pouvait qu’aller mieux vu que je venais vraiment d’atteindre le fond du baril».

Quelques jours auparavant, elle venait d’apprendre qu’elle resterait paralysée pour le restant de sa vie. Bien qu’elle pouvait quand même mouvoir quelque peu ses deux bras, elle serait désormais tétraplégique: ses quatre membres ne fonctionneraient plus. Cependant, comme elle l’avait prédit, sa vie allait prendre un nouveau tournant.

Après près de trois mois aux soins intensifs de l’hôpital Sacré-Cœur, Jeanne est transférée à l’Institut de réadaptation Gingras-Lindsay, toujours à Montréal, pour y entreprendre sa réadaptation. Or, cet établissement a un partenariat avec l’hôpital Maisonneuve-Rosemont où les docteurs Dominique Tremblay et Élie Boghossian, chirurgiens plasticiens, planchent sur une nouvelle chirurgie qui permet à des gens comme Jeanne de retrouver l’usage de certains de leurs membres. Son cas les intéresse: il serait peut-être possible pour elle de retrouver un usage partiel de ses mains, à condition qu’elle se qualifie pour l’opération, ce qu’un comité d’experts décide.

«Il faut être un bon sujet [pour l’opération]. Honnêtement, c’était comme si j’allais à une entrevue: il y avait des questions sur comment mes mains allaient m’aider pour le futur, dit-elle. Au début, tu penses que tu vas retrouver toutes tes capacités dans les mains mais ce n’est pas le cas. Il faut ainsi modérer ses attentes.»

Finalement, Jeanne s’est qualifiée pour être la dixième personne au Canada, et la première femme au pays, à subir la chirurgie de transferts nerveux, une nouvelle qu’elle a qualifiée d’irréelle sur le coup.

Réacheminer le courant

Réalisée une première fois aux États-Unis en 2010, la chirurgie de transferts nerveux n’est pratiquée que dans une douzaine d’établissements de santé dans le monde. À l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, la première opération du genre a eu lieu en janvier 2020 et en date d’aujourd’hui, une quinzaine d’entre elles y ont été faites. Jeanne a cependant été la première patiente dont l’histoire a été publicisée. En plus de nerfs, elle a aussi été la première au pays à subir un transfert tendineux par la même occasion.

Concrètement, cette chirurgie consiste à réacheminer l’influx nerveux de nerfs actifs vers des nerfs inactifs afin de réanimer les muscles. Ce ne sont donc pas tous les patients paralysés qui peuvent espérer subir cette opération: dans le cas de Jeanne, il serait impossible de réanimer ses jambes puisque le courant électrique, l’influx nerveux, y est entièrement coupé. Par contre, certains nerfs de ses bras fonctionnent encore et plusieurs de ceux-ci sont redondants, c’est-à-dire qu’ils remplissent la même fonction que d’autres nerfs. Reconnecter ces nerfs et tendons actifs vers ceux qui sont inactifs permet à ces derniers de retrouver leur fonctionnalité sans perdre la mobilité que le patient possède encore.

Il a fallu plus de neuf heures et une équipe d’une dizaine de personnes pour effectuer l’opération qui a eu lieu à la fin du mois de juillet dernier. Le patient peut espérer une amélioration de son état au cours des deux années suivant la chirurgie en suivant un programme de réadaptation. Dans son cas, Jeanne se rend aux deux semaines en institut pour une séance de 2h30 de physiothérapie et d’ergothérapie tout en effectuant des exercices quotidiens d’une quarantaine de minutes à la maison.

Tête d’affiche

Jeanne a été la première patiente à subir l’opération dont l’histoire a été publicisée, avec son autorisation et dès le début du processus. Le Devoir, The Gazette et même l’émission Découverte ont consacré des reportages sur son histoire en suivant son évolution, de l’opération à la réadaptation. Depuis la diffusion de ces reportages, d’autres médias se sont intéressés au sujet.

«Je ne pensais pas que ça allait être aussi gros!, admet la jeune femme qui a aujourd’hui 27 ans. Ce qui a fait boule de neige, c’est que c’est une bonne nouvelle et que je suis positive. J’ai eu de bons commentaires.»

Pourquoi a-t-elle accepté de se retrouver sous les projecteurs de la sorte? «Ce qui m’a donné le goût, c’est qu’on m’a donné un cadeau, soit de nouvelles mains. Il allait de soi que j’allais accepter de donner une visibilité à ces deux chirurgiens qui changent des vies, ça me faisait plaisir», explique-t-elle.

Amélioration

Sept mois après l’opération, Jeanne apprend encore à faire bouger ses mains. Il faut dire qu’en redirigeant l’influx nerveux, faire un mouvement qui allait auparavant de soi est maintenant plus compliqué.

«Au début, pour faire bouger une partie de la main, il fallait que j’envoie le signal dans le muscle donneur. Par exemple, pour faire bouger mes doigts, il faut que je fasse bouger mon bicep», explique-t-elle avant de nous faire la démonstration en bougeant son pouce alors que le signal vient en fait d’un nerf qui fait normalement bouger le coude.

Mais ses progrès sont sensationnels: de tous les patients qui l’ont précédée, elle serait celle qui a connu la meilleure progression après sept mois. Au moment de la rencontrer au début du mois de mars, la force de préhension de sa main gauche était de 7 lbs tandis que dans sa main droite, elle était de 5 lbs. Trois semaines plus tôt, elle n’était que de 3,7 lbs pour la gauche et nulle pour la droite. Jeanne est maintenant capable de cuisiner, s’habiller, se brosser les dents, se maquiller… Elle ne pourra pas retrouver un usage normal de ses mains mais ces gestes qu’elle peut accomplir sont autant de victoires.

«Je suis partie en ayant aucune fonction dans les mains. Là, tout ce que je peux faire, c’est un petit miracle!, dit-elle. Dès que je suis dans mon fauteuil, je suis assez autonome. C’est ça le cadeau de l’opération: pour le type de lésion que j’ai, sans l’opération, j’aurais été très dépendante. Là, j’ai une belle indépendance, je cuisine même le soir!»

Elle poursuit: «Très rapidement, je me suis dit qu’un jour, je pense être capable de faire le deuil de mes jambes. Mais de faire le deuil de mes mains, c’est plus difficile. Pas de jambes et pas de mains, je serais dépendante des autres. Maintenant que mes mains se réveillent, je suis capable de faire bien des choses moi-même.»

Justement, grâce à cette indépendance retrouvée, Jeanne vise maintenant à avoir une vie aussi normale que si elle n’était pas clouée en fauteuil roulant. Cette nouvelle façon de vivre entraîne de nombreuses découvertes.

Pour voir le segment de l’émission Découverte sur le chirurgie de Jeanne, c’est ici: https://ici.radio-canada.ca/tele/decouverte/site/segments/reportage/434592/sante-physique-greffes-nerfs?isAutoPlay=1

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La dernière partie de cette entrevue est ici: https://le-regional.ca/2023/03/30/jeanne-carriere-une-nouvelle-vie-active/