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le Mardi 21 juin 2022 11:53 Culture

Agences de voyage: une industrie «abandonnée» durant la pandémie

Agences de voyage: une industrie «abandonnée» durant la pandémie
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Depuis mars 2020, la pandémie a poussé bien des entrepreneurs dans les câbles. Durant plusieurs mois, il était mal vu de sortir de chez soi et presque impossible de planifier quoi que ce soit à long terme. C’est dans cette réalité que naviguent les agences de voyages depuis plus de deux ans.

« Quand ça a commencé, c’était comme frapper un mur de brique. Plusieurs ont laissé partir leurs employés, mais nous, sans aucun revenu qui entrait, on devait travailler deux fois plus pour tout annuler ce qu’on avait booké et rapatrier nos clients aux pays », raconte Martin Plante, président et fondateur de MPO Educational Travel, une agence de voyages éducatifs de groupe basée à Hawkesbury.

Depuis, les pertes sont énormes pour l’entreprise fondée par Martin Plante et sa conjointe il y a près de 25 ans. On parle de pertes évaluées à près de 5M$ en ventes depuis mars 2020, pour l’entreprise qui a complètement vidé ses comptes courants depuis. Cela s’ajoute à la perte de nombreux employés, que l’entreprise a finalement dû laisser partir et qui pourraient décider de choisir un emploi dans une industrie plus stable que celle du voyage.

D’ailleurs, ces pertes ont pu être constatées chez les agences de voyages de tous genres. Manon Martel, qui est directrice du service aux membres de l’Association canadienne des agences de voyages (ACTA), a confirmé au Journal que 781 agences membres de l’ACTA avaient fermé leurs portes de 2020 à 2021. En tout, cela représentait près de 45% des agences membres de l’association qui en dénombre aujourd’hui près de 1700, en plus de 15 000 conseillers voyages.

Un monde d’incertitude

Ces millions de dollars en perte, ils viennent notamment de la perte de milliers de clients depuis 2020 et deux ans plus tard, l’agence de voyages de Hawkesbury peine à retrouver une infime partie de son roulement prépandémique.

« En ce moment, on est à peine à 5% du booking qu’on avait avant la pandémie et c’est trop risqué de faire de la promotion pour se relancer parce qu’on pourrait perdre des milliers de plus si le gouvernement décide de tout reconfiner », lance celui qui a même dû vendre sa résidence principale pour rester à flot durant ces moments difficiles.

D’ailleurs, si les voyages de groupes étaient autrefois la « valeur sûre » du domaine des agences de voyages, c’est maintenant l’un des marchés les plus complexes à gérer, alors que le voyage dépend de plusieurs personnes.

« C’est autant plus de gestion pour nous que les écoles avec qui on fait affaire. Quand des élèves attrapent la COVID-19 juste avant ou pendant le voyage, on doit annuler et perdre de l’argent. Pour ce qui est des écoles, pensez-vous vraiment que les enseignants-accompagnateurs ont envie de gérer ça? », questionne l’entrepreneur en ajoutant que le prix des assurances de voyage a doublé et même triplé depuis le printemps 2020.

Deux types de voyage, même discours

Du côté des voyages individuels, de couple ou familiaux, c’est évidemment un peu moins complexe, mais la problématique reste la même.

« Ça parait que les gens ont hâte de voyager de nouveau, de revoir leurs familles à l’étranger, mais c’est sûr que ce n’est pas comme avant », confie Marie-France Sauvé, conseillère voyage et propriétaire de Voyages Fly DK Travel, aussi basée à Hawkesbury, qui évalue la capacité de booking à moins de 60% de ce que c’était avant la pandémie.

Encore une fois, ce retour de la clientèle ne se traduit pas immédiatement en revenus pour l’entreprise qui refuse de crier victoire trop tôt.

« Il y a des journées où ça va bien, mais il y en a d’autres où tu te dis ‘est-ce que je fais encore ça pour rien?’ », questionne-t-elle, craignant la possibilité qu’une autre vague de COVID-19 annule tous ces voyages fraichement inscrits pour l’hiver.

Laissés à eux-mêmes

Depuis la venue de la pandémie, le gouvernement fédéral, comme les gouvernements provinciaux ont investi beaucoup d’argent pour « sauver les meubles ». Toutefois, le propriétaire de MPO déplore que les agences de voyages soient les grandes oubliées de cette histoire.

Dans son programme général d’aide aux entreprises, le gouvernement a offert une aide financière payant une partie du loyer de l’entreprise et du salaire de ses employés (75%), mais « à quoi ça peut bien servir s’il n’y a pas de job? », questionne Martin Plante à son tour.

Du côté de Voyages Fly DK Travel, on considère que si l’aide était absente, c’est que le gouvernement ontarien n’a jamais vraiment tenté d’y trouver une solution.

« On fait affaire avec des entreprises d’ici, pourtant, au lieu de nous aider, le ministère du Tourisme de l’Ontario a remis des crédits d’impôt directement aux gens qui voyagent dans la province comme si on envoyait tout notre argent à Cuba », affirme Marie-France Sauvé, en déplorant que pourtant, si les gens ne veulent pas du produit qu’elle tente de vendre, c’est principalement à cause des décisions gouvernementales.

Sans surprise, elle n’est pas la seule à être critique vis-à-vis le gouvernement et ses décisions, le propriétaire de MPO Educational Travel se veut même encore plus sévère envers ceux-ci.

« Les gouvernements ont imprimé beaucoup d’argent pour plusieurs grandes compagnies et c’est les petites et moyennes entreprises qui ont mangé la claque. Ils ont agi comme s’ils avaient scellé le barrage pour sauver nos meubles, mais pendant ce temps-là, ils inondaient notre ferme », analyse Martin Plante à l’aide d’une métaphore bien claire.

Positif, mais réaliste

Bref, les artisans du monde du voyage veulent certainement rester positifs, mais avec ce qu’ils ont vécu dans les deux dernières années, il est de mise de rester réaliste par rapport à l’avenir.

« C’est sûr que le soleil va ressortir, mais on est aussi conscient que si on a été les premiers à tomber [sous les effets] de la pandémie, on va aussi être les derniers à se relever », conclut la propriétaire de Voyages Fly DK Travel, complétant ce cri du cœur au nom de l’industrie pour laquelle elle se dédie depuis plus de 20 ans.