Une personne atteinte de troubles cognitifs, comme la maladie d’Alzheimer, peut-elle voter aux élections fédérales même si elle n’a pas conscience du geste qu’elle pose? Oui selon Élections Canada. Mais cette pratique discutable est dénoncée alors qu’une citoyenne, mandataire du certificat d’inaptitude de sa mère placée au CHSLD du Pavillon de Lachute, a appris que cette dernière avait voté après qu’un employé lui aurait remis un bulletin de vote par correspondance ainsi qu’à plusieurs autres résidents aux prises avec des troubles cognitifs.
La dame en question, qui a requis l’anonymat, a indiqué que sa mère réside à l’unité prothétique du Pavillon de Lachute depuis quelques années. Dans cette unité se retrouvent des résidents avec des troubles cognitifs, allant de la maladie d’Alzheimer à la démence. Or, en rendant visite à sa mère au cours de la dernière fin de semaine, elle a appris par hasard que celle-ci avait pu voter aux élections fédérales, comme plusieurs autres résidents de l’unité.
«Une personne qui est sous un mandat d’inaptitude, sa signature ne vaut plus rien. Alors comment se fait-il que son vote, lui, vale quelque chose?», se demande la dame, elle qui est la mandataire de sa mère.
Un porte-parole d’Élections Canada, Serge Fleyfel, indique qu’il n’y a rien d’illégal si la personne en question est encore inscrite sur la liste électorale. «Élections Canada envoie des Cartes d’informations de l’électeur à toute personne inscrite sur le Registre national des électeurs. La loi permet de les retirer de ce registre», dit-il.
En effet, l’article 52 de la Loi électorale du Canada stipule qu’une personne peut être retirée de la liste électorale si celle-ci «est soumise, pour cause d’incapacité mentale, à un régime de protection établi par ordonnance d’un tribunal, notamment la tutelle ou la curatelle à la personne, si le représentant dûment autorisé à la représenter sous ce régime lui en fait la demande par écrit.»
En un mot, le mandataire d’une personne sous protection d’un mandat d’inaptitude doit lui-même faire une demande pour retirer le nom de la personne de la liste électorale. Autrement, cette personne est considérée comme habilitée à voter.
Réaction du CISSS
Du côté du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) des Laurentides, on confirme qu’une distribution de bulletins de vote par correspondance a eu lieu parmi les résidents inscrits sur la liste électorale dans les CHSLD des Laurentides.
«Les trousses ont effectivement été distribuées par un employé à qui le Bureau de scrutin local avait fourni la liste des électeurs inscrits», confirme Myriam Sabourin, agente d’information au CISSS des Laurentides, en précisant que ce n’était pas au centre hospitalier de retirer une personne de la liste électorale. «L’employé a demandé à chacun des résidents figurant sur la liste électorale si ils souhaitaient voter ou non. Dans le cas où l’usager disait vouloir voter, la trousse de vote par voie postale lui était remise. Dans le cas où l’usager disait ne pas vouloir voter, rien ne lui était remis sans aucun autre questionnement. Par conséquent, le choix de chacun était respecté.»
Madame Sabourin enchaîne: «Dans le cas des personnes ayant un mandat d’inaptitude à leur dossier, une attention particulière a été portée afin d’aviser la famille du souhait de l’usager de voter.»
Justement, dans le cas de la dame qui a rapporté au Régional cette situation, personne ne l’a contactée pour lui parler du vote de sa mère et ce, même si elle a un mandat d’inaptitude. C’est par hasard qu’elle a appris qu’elle avait voté. De plus, ce ne serait pas les résidents qui auraient fait des demandes pour obtenir les trousses de vote: ce serait plutôt l’employé du CISSS qui aurait fait le tour des résidents pour leur proposer ladite trousse.
«Concernant les actions attendues de notre personnel, si une telle inconguité s’est bien produite, elle aurait dû être portée à l’attention de la famille. La dame peut s’adresser à la commissaire aux plaintes et à la qualité des services. Sa situation sera traitée en toute confidentialité et nous permettra même de poser des gestes pour qu’une telle situation ne se reproduise plus», conclut madame Sabourin tout en affirmant qu’aucune pression n’aurait été faite sur les résidents pour qu’ils votent.
Pas une première
Mis au courant de cette situation, Me Paul Brunet, président-directeur-général du Conseil pour la protection des malades, dénonce celle-ci tout en soulignant que ce n’est pas la première fois qu’on lui rapporte une telle histoire au cours des douze dernières années.
«Quelqu’un qui est inapte ne peut pas voter! Il faudrait qu’il y ait un lien entre la déclaration d’inaptitude et la liste électorale fédérale, lance-t-il. Mais c’est un rêve car les autorités médicales et les responsables des élections ne se parlent pas ou peu. Ça entache la crédibilité de l’élection et de ceux et celles qui doivent préparer ces élections de façon impartiale. Quand on n’est pas apte, on ne peut pas voter. Ce n’est pas normal que quelqu’un qui est inapte soit encore sur la liste électorale.»
Il aimerait que les responsables des centres hospitaliers agissent dans ce dossier pour aider à retirer le nom de ces patients de la liste électorale. Il craint également que des personnes puissent usurper l’identité de ces citoyens pour voter en leur nom.
«C’est comme si on me disait qu’Élections Canada faisait voter du monde décédé parce qu’ils sont sur la liste électorale. C’est du n’importe quoi!», conclut-il.