À Green Valley
David Ménard
À Green Valley, les oiseaux chantent leurs prophéties, inlassablement…
D’ailes et d’ailleurs.
À Green Valley, nous avons appris à faire fondre l’amertume au soleil avec ce qu’il reste des hivers bleus. Nous connaissons les couleurs de l’attente, celles du manque aussi. Mais le vent nous comble assidûment de ses caresses, chasse le vide qui sommeille au creux de nos paumes et nous offre le plus grand des apaisements, la plus vive des absolutions.
À Green Valley, femmes et hommes de terre, nous sommes. L’eau, nous ne savons point. Chez nous, elle vient des profondeurs. Notre maigre rivière Beaudette sèche en été. Nous ne connaissons que la robe parfumée des lilas de mai, la sueur salée de juin, les sillons secs en juillet au milieu des champs, les monarques et la frénésie orange de leurs ailes en août, les récoltes chaudes en septembre, les arbres à fruits chargés de soleil sucré, les pommes tombées de tout leur suc, les dahlias, la terre noire et mouillée entre les doigts. Les étangs savent toujours faire fleurir leurs nénuphars. Les jardins poussent assidûment. Le sol est usé, mais il ne manque jamais de volonté.
À Green Valley, nous regardons la lumière frétiller à travers les branches d’arbres. Notre dos vibre au son du paysage qui ronronne lorsqu’un train passe et vagabonde au loin. Depuis nos galeries, nous épions amicalement Florence Quesnel, Émery Ouimet, Médéric Poirier et Jean-Baptiste Ménard, quatre gentils fantômes du coin qui parfois conversent allègrement sur la 34 et la 8e concession en marchant lentement pour mieux admirer les prés et l’azur. Nous écoutons les fleurs pousser et les cigales se languir jusqu’en septembre. Nous applaudissons l’herbe, le foin, la poussière et tout leur théâtre d’odeurs.
À Green Valley, le ciel, dans sa grandeur, nous permet de soupeser le poids de l’univers en quelques battements de cœur et de paupières. Ici, Dieu se voit de partout, dans la lumière, comme dans l’obscurité et le vert qui pleut sur nos espoirs. Les villes nous semblent bien minuscules, et le chant des criquets, immense.
À Green Valley, les érables veillent sur nous, immobiles, craignant les haches du temps moins que nous. Ici, nous marchons dans les pas bienveillants de nos ancêtres et le calme règne sur tout. Rien ne change, ou presque…
À Green Valley, nous nous allongeons dans les champs de verdure en plein été. Les anges voltigent au-dessus de nous, près des moineaux qui se marient sur les fils. Ils nous murmurent doucement à l’oreille les plus belles et les plus célestes des révélations dans les secondes précises qui précèdent notre assoupissement. À notre réveil, tout est oublié, et les anges, disparus. Mais le réconfort reste. Nous sommes rassérénés d’avoir brièvement effleuré, en rêve, la plus pure des vérités pour mieux continuer de vivre, simplement, grandiosement, imparfaitement, voracement, à bout de souffle, tout en poésie, gaie ou lasse…
Mais en poésie, tout de même.
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Green Valley est un village important de l’histoire de l’Ontario français. Jean-Baptiste Ménard, Émery Ouimet et Médéric Poirier y ont permis l’ouverture de l’École libre du Sacré-Cœur, située jadis dans la 8e concession, où la première institutrice, Florence Quesnel, a poursuivi l’enseignement en français, contrevenant ainsi au Règlement XVII en 1912. Pour découvrir cet adorable et attachant petit village de l’Est ontarien, où la verdure donne tout son sens à la vie et les constellations d’étoiles se dessinent librement dans le ciel d’été, je vous invite à utiliser la toute nouvelle plateforme lancée par l’AAOF, ontarioterredemots.ca. Vous aurez aussi l’occasion de vous aventurer dans d’autres régions de la province si telle est votre envie.