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le Jeudi 14 septembre 2023 8:06 Culture

Le rideau tombe sur une page d’histoire

Les travaux de démolition du Cinéma Laurentien ont débuté mardi dernier.
Le rideau tombe sur une page d’histoire
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La café est arrivé plus tard que prévu, tout comme les beignes. Parenté, amis et ex-employés avaient accepté l’invitation et arrivaient à intervalles réguliers. Heureusement, la séance n’avait pas encore commencé. Danielle Lacasse et Yvon Myner, propriétaires pendant plus de 50 ans de l’endroit, étaient aux premières loges en ce matin du 12 septembre pour assister à ce qui serait la dernière représentation de ce qui fut leur lieu de travail mais aussi leur demeure: la démolition du Cinéma Laurentien de Grenville.

C’est avec émotions et fébrilité que le couple Lacasse-Myner attendait que la pelle mécanique commence son travail de démolition. Ils n’auraient pas manqué pour rien au monde la disparition de ce lieu chargé de souvenirs autant pour eux que pour des milliers de cinéphiles de la région qui ont visité l’endroit au fil de ses 72 ans d’opération.

«Il y a bien des souvenirs qui me passent dans la tête, indique monsieur Myner, quelques instants avant que les travaux ne commencent. On est content car c’est le temps d’un changement. Ça va faire différent avec la construction de condos.»

En effet, le terrain de près de 5000 mètres carrés accueillera éventuellement une trentaine de condos. Selon monsieur Myner, les nouveaux propriétaires lui ont mentionné qu’ils nommeraient ce projet résidentiel Le Laurentien, en l’honneur du cinéma.

«Ça va perpétuer le souvenir du cinéma, lance l’ancien propriétaire des lieux. Ça me fait plaisir de savoir ça, je ne m’y attendais pas. C’est un bel honneur.»

72 ans de cinéma

C’est en 1950 que le Cinéma Laurentien a ouvert ses portes. À l’époque, l’endroit ne comptait qu’une seule salle. C’est en 1970 qu’Yvon Myner s’est porté acquéreur de l’endroit.

«Je travaillais dans le domaine de la recherche électronique et je voyageais de Montréal à Hawkesbury, raconte-t-il, ajoutant qu’il désirait alors changer de style de vie. J’ai toujours eu un sens des affaires en moi. Quand j’ai su que le propriétaire original du cinéma, monsieur Landriault, voulait vendre, j’ai été le voir!»

Dès qu’il est devenu propriétaire, Yvon Myner a fait construire la seconde salle tout comme la nouvelle billetterie et les kiosques alimentaires situés à l’avant du bâtiment. À l’étage de ce nouvel ajout, il y a aménagé le logement familial où le couple élèvera ses deux enfants. Pendant quelques années, il sera aussi propriétaire d’un cinéma à Lachute, celui dans lequel loge désormais le Théâtre des petits bonheurs.

Cependant, le poids des années a commencé à faire son œuvre après près de 50 ans à exploiter le cinéma alors que des problèmes de santé ont rendu les choses de plus en plus difficiles. L’idée de vendre l’endroit a commencé à faire son chemin avant la pandémie.

«Il fallait que je pense à ma retraite! J’arrivais à 80 ans, je n’étais pas pour faire un autre 20 ans!», explique monsieur Myner avec un sourire.

À deux occasions, un acheteur s’est manifesté pour poursuivre les activités du Cinéma Laurentien mais à chaque fois, l’acquéreur a dû se désister pour diverses raisons. Finalement, en 2021, le couple Lacasse-Myner a vendu l’endroit à un promotteur immobilier. Ce dernier a permis à un exploitant montréalais de cinémas de poursuivre les activités du Cinéma Laurentien, une aventure qui n’aura finalement duré qu’un an. Les derniers films ont été présentés en septembre 2022, mettant fin à 72 ans de projections cinématographiques.

Souvenirs

La page qui se tourne laissera de bons souvenirs au couple Lacasse-Myner qui a ainsi pu voir des milliers de films en primeur durant les 51 ans où ils ont été propriétaires de l’endroit.

«Le plus gros succès fut Titanic: on l’a fait jouer pendant 17 semaines à guichet fermé!, se souvient monsieur Myner. On aurait pu le garder plus longtemps encore mais les gens commençaient à demander à voir d’autres films.»

«E.T. l’extraterrestre a aussi été un gros succès, ajoute Danielle Lacasse. Les films de Disney en général étaient aussi de bons films. Tous les premiers films qui ont donné naissance à des séries de films, comme Star Wars, ont aussi bien marché.»

Les cinéphiles de la région garderont aussi de bons souvenirs de leurs visites au cinéma de Grenville. «On a eu une bonne clientèle qui nous a soutenus pendant plus de 50 ans, confirme madame Lacasse. Quand ça s’est su que ça allait être démoli, on a reçu près de 200 témoignages de gens. Ça nous a fait chaud au cœur de savoir comment les gens tenaient à leur cinéma de campagne.»

Aujourd’hui, le couple habite dans les nouveaux logements situés aux abords de la rivière des Outaouais, à quelques pas de l’endroit où se tenait leur cinéma, et profite d’une retraite bien méritée.

«La première fois qu’on est sorti ensemble après avoir vendu le cinéma, c’est d’aller au cinéma! Ça nous a fait rire», lance madame Lacasse.

«Mais pour ça, il a fallu aller à Gatineau!», conclut, un sourire en coin, monsieur Myner, ce que doivent désormais aussi faire les gens de la région qui veulent aller au cinéma.