ENTRETIEN – L’un des objectifs de la 15e conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP 15), qui se tient à Montréal, est de protéger 30 % des terres et des mers d’ici à 2030. Au Canada, la superficie des aires protégées progresse à trop petits pas. Pour Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les Parcs du Canada (SNAP), section Québec, l’inaction de certains territoires et provinces est en cause.
Marine Ernoult– Francopresse
La 15e Conférence des parties des Nations unies sur la biodiversité (COP 15) est cruciale pour l’avenir de la planète : un nouveau cadre mondial doit y être adopté pour protéger 30 % des terres et des mers d’icià 2030.
La reconnaissance des droits des peuples autochtones avant d’établir une aire protégée sur leurs territoires est également au cœur des négociations.
Pourtant, le Canada n’est pas un modèle en matière d’aires protégées.
Alain Branchaud, directeur général de la section Québec de la Société pour la nature et les parcs du Canada est d’avis que le fait de tracer une ligne sur une carte ne suffit pas. Selon lui, les espaces préservés doivent aussi être placés au bon endroit, acceptés par les populations locales et bien gérés.
Le biologiste livre ses impressions sur les efforts de protection de la biodiversité au Canada.
Francopresse : Les aires protégées couvrent-elles une proportion importante du territoire canadien?
Il y a une dizaine d’années, la communauté internationale s’était déjà engagée à étendre la superficie des aires protégées. L’ambition mondiale était qu’elles couvrent au moins 17 % des zones terrestres et 10 % des zones maritimes en 2020.
Le Canada a dépassé la cible en ce qui concerne les mers et les océans. La superficie protégée a largement progressé, pour atteindre près de 14 % du territoire marin. On parle d’une augmentation de 900 % durant les cinq dernièresannées. C’est un bond de géant.
En revanche, le pays n’a pas réussi à atteindre l’objectif pour les terres. Seulement 13,5 % des zones terrestres sont préservées, soit environ 1,5 million de kilomètres carrés. Cette surface s’est néanmoins accrue de 75 % au cours des vingt dernièresannées.
Pourquoi le Canada a-t-il échoué à tenir une partie de ses engagements internationaux?
L’inaction des provinces et des territoires est la principale cause. La gestion des océans relève du gouvernement fédéral, mais celle des terres est du ressort des gouvernements provinciaux et territoriaux.
Et il y a de grandes différences entre les compétences. Le Québec, la Colombie-Britannique, le Yukon font figure de bons élèves en matière de conservation : ils ont atteint, voire dépassé la cible de 17 %.
À l’inverse, la biodiversité ne fait pas partie des priorités de certains gouvernements provinciaux, notamment en Alberta et en Saskatchewan. Ce ne sont pas les provinces avec les pourcentages d’aires protégées les plus faibles, mais il y est très difficile d’en créer de nouvelles.
Sans plus de volonté de leur part, le pays ne parviendra pas à restaurer la santé des écosystèmes naturels et à respecter l’objectif de 30 % d’icià 2030. Ottawa a des moyens de pression très limités pour inciter les plus récalcitrants à aller de l’avant.
Il y a également beaucoup plus de zones protégées dans le Nord que dans le Sud du Canada. Ce déséquilibre vient du fait que la majorité des terres sont publiques au nord, alors qu’elles appartiennent à des propriétaires privés au sud.
Des programmes ont été mis sur pied pour que les propriétaires privés adoptent des mesures de sauvegarde efficaces ou donnent leur terrain à des organismes de conservation, en échange d’avantages fiscaux. Mais si l’on veut tenir la fameuse cible de 30 %, il faut se concentrer sur les terres publiques. Les terres privées ne pourront contribuer qu’à hauteur de 1 %.
Au-delà des pourcentages, les aires protégées sont-elles placées aux bons endroits et bien gérées?
Elles sont bien situées, de manière à sauvegarder des écosystèmes divers, dotés d’une grande richesse d’habitats et d’espèces. Mais elles doivent être mieux reliées entre elles. On doit améliorer la connexion entre les espaces au nord et au sud du pays, à travers les provinces.
C’est une dimension cruciale pour permettre aux espèces de se déplacer, d’autant plus qu’avec le changement climatique la faune et la flore migrent vers des latitudes plus fraiches.
Le point positif, c’est qu’aucun prélèvement de ressources ni aucune activité économique ne sont autorisés dans les aires protégées canadiennes. L’intégrité du vivant est totalement préservée.
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Les aires protégées sont de plus en plus étendues, mais elles n’ont pourtant pas réussi à freiner l’érosion de la biodiversité. Existe-t-il d’autres mécanismes qui seraient plus efficaces?
Les aires protégées sont lourdes à mettre en place, car elles requièrent l’élaboration d’un plan de conservation, la mise sur pied d’un système de gouvernance. C’est pourquoi on parle de plus en plus d’autres mesures de conservation efficaces par zone (AMCE). Cette appellation désigne les espaces situés en dehors des réseaux d’aires protégées nationaux et locaux.
Ce sont, par exemple, des territoires où vivent des peuples autochtones ou des terrains militaires de grandes superficies qui abritent une biodiversité unique. Ils pourraient jouer à l’avenir un rôle important, en diversifiant les formes de gouvernance et en permettent d’agir plus rapidement.
D’autres stratégies sont également évoquées. Ottawa pourrait sanctuariser de larges pans de territoire afin de sauvegarder les habitats essentiels d’espèces désignées, en vertu de la Loi sur les espèces en péril. Ce serait un geste politique audacieux.
Ottawa pourrait encore s’entendre avec les provinces et les territoires afin de sécuriser des secteurs-clés dans la lutte contre les changements climatiques. Je pense aux grandes tourbières dans le Nord de l’Ontario, capables de stocker de grandes quantités de carbone.
Vous évoquez les peuples autochtones, est-ce que leurs droits sont respectés lorsque des aires protégées sont établies sur leur territoire?
Ça n’a pas toujours été exemplaire dans l’histoire du Canada, mais désormais, aucune aire protégée ne peut voir le jour sans un consentement libre et éclairé des Premières Nations. La Constitution garantit des mécanismes de consultation obligatoire. Cela s’inscrit dans la dynamique de réconciliation.
Il y a aussi de plus en plus de leadeurship autochtone dans la gestion des territoires préservés. Il existe notamment un programme fédéral de Gardiensautochtones, qui permet aux Premières Nations d’être responsables de l’intendance de leurs terres, leurs eaux et leurs glaces traditionnelles. C’est l’un des meilleurs types de gouvernance.
Multiplier les aires protégées pour sanctuariser la nature, est-ce assez?
En créant des aires protégées, on s’attaque aux causes directes de l’effondrement de la biodiversité. Mais c’est insuffisant pour inverser la tendance.
Il faut amorcer un dialogue sur les causes sous-jacentes du déclin du vivant. On doit avoir une approche intégrée, combinant des mesures de protection ambitieuses et une transformation profonde de notre modèle économique, de nos modes de production et de consommation, qui reposent sur l’exploitation de la nature.
Les propos ont été réorganisés pour des raisons de longueur et de cohérence.
Qu’est-ce que la biodiversité?
La biodiversité désigne l’ensemble des espèces et des êtres vivants sur Terre ainsi que les écosystèmes dans lesquels ils vivent. Ce terme comprend également les interactions des espèces entre elles et avec leurs milieux.
Bien que la biodiversité soit aussi ancienne que la vie sur Terre, ce concept n’est apparu que dans les années 1980. La Convention sur la diversité biologique signée lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro (1992) reconnait pour la première fois l’importance de la conservation de la biodiversité pour l’ensemble de l’humanité.