‘Dans l’ancien temps, quand on avait des vrais hivers ‘frets’ et des bancs de neige hauts comme des montagnes, plusieurs villages et leurs résidents qui habitaient dans les rangs pouvaient être isolés pendant de longs moments, sans contact avec leurs voisins, ni avec les commerces du village où ils s’approvisionnaient parce que les routes étaient pas passables et les moyens de transport, ben c’était tes deux jambes ou les quatre pattes de ton cheval.’Si vous avez encore la chance d’avoir un grand-parent pour vous raconter de quoi avaient l’air les hivers au début des années 1900, sa réponse ressemblerait sûrement à cette description. Faisant contre mauvaise fortune bon gré, nos ancêtres ont utilisé avec ingéniosité les forces de la nature et les propriétés que ces hivers rigoureux mettaient à leur disposition pour mettre au point différentes ‘patentes’ afin de déblayer leurs routes et se construire des ponts de fortune pour s’éviter de longs détours et s’offrir un accès pratique et direct aux services essentiels. D’où la naissance des ponts de glace ou ‘traverses de glace’ comme elles étaient aussi communément appelées à cette époque.
D’abord modestes, ces chemins étaient d’abord réservés au passage d’un homme et son cheval dès que la glace avait une épaisseur minimale de 8-10cm (3-4 pouces); puisque les hivers du temps pouvaient durer jusqu’en mai, les glaces s’épaississaient au fil des jours jusqu’à atteindre trois mètres d’épaisseur : on pouvait alors y faire passer sans danger des carrioles chargées et même des trains de marchandises! L’histoire du Canada nous raconte l’anecdote que le premier témoignage d’un pont de glace vient des écrits de Mère Marie de l’Incarnation qui rapporte que ‘les Hurons traversaient le Saint-Laurent pour venir se confesser’! Comme les temps changent : en 2022, on traverserait le Saint-Laurent ou l’Outaouais pour aller plutôt chercher une caisse de bière au dépanneur!
De retour aux choses sérieuses maintenant! Au cours du dernier siècle et dû au réchauffement graduel de la planète, les années et les hivers se suivent et ne se ressemblent pas : les conditions climatiques et météorologiques sont tellement imprévisibles qu’il est impossible de prévoir une certaine constance, surtout dans les régions situées dans les secteurs sud du Canada, où nous sommes situés; c’est en conséquence de quoi il n’existe plus qu’une poignée de tels ponts de glace, dont très peu au Québec et en Ontario : deux ponts qui traversaient la rivière Richelieu ont été abandonnés par leur promoteur il y a quelques années à cause de leur dangerosité; la traverse Hudson-Oka elle-même est en danger de disparaître définitivement, au grand désarroi du maire d’Oka qui voit son économie amputée d’appréciables revenus touristiques.
Construire un pont de glace peut sembler facile à faire, mais dans les faits, c’est une science complexe : la solidité de la glace blanche est-elle la même que celle de la glace bleue? Les courants sous-marins ont-ils un impact sur la qualité de la glace? Quel impact ont les gels et dégels successifs? La vitesse, le poids, les charges des véhicules ont-ils un impact? De nos jours, une instrumentation spécialisée peut en déterminer l’épaisseur : le radar détecteur de profondeur, alors que certains ‘artisans’ utilisent toujours la fidèle scie à chaîne ou une foreuse manuelle pour le faire.
Deux promoteurs de la région ont cependant résisté à la tentation de ‘mettre l’ cadenas su’ la cabane’ et d’abandonner; l’un d’eux, Éric Sanscartier-Allard, s’est mêmeporté acquéreur de la traverse Lefaivre-Montebello au cours de la dernière année! Complémentaire au service de traversier disponible du printemps à l’automne et utilisant les mêmes jetées des deux côtés de la rivière, son pont de glace offre aux utilisateurs un raccourci important à défaut de devoir traverser la rivière par le pont Long-Sault de Hawkesbury-Grenville ou le service de traversier de Cumberland. La distance d’une rive à l’autre est de 1.6km; on doit respecter la limite de vitesse de 10kms/heure et le poids maximal de cinq tonnes. Puisque la rivière des Outaouais est de juridiction fédérale à cause des frontières interprovinciales , c’est le ministère de l’environnement qui en réglemente l’utilisation. Le service de traversée est disponible depuis le 13 janvier et le sera jusqu’à ce que Mère Nature décide que le printemps est arrivé, et non pas Victor, une marmotte locale! Le coût est de 7$.
Quant à lui, le pont de glace Pointe-Fortune/St-André-d’Argenteuil *semble être fermé temporairement pour cause de Covid selon l’information indiquée sur son site web. Le pont de glace, propriété de Gilles Cardin, sert de complément hors-saison au service de traversier Le Passeur, mais n’utilise pas les mêmes jetées situées au cœur du village : le sentier, long de quelque 900 mètres, est situé quelques kilomètres plus à l’est où les glaces sont plus solides et peuvent parfois atteindre un mètre d’épaisseur.
Bref, levons nos verres à ces deux investisseurs de la région qui réussissent à dompter les caprices de la nature, d’année en année, pour offrir à leur clientèle, un ‘thrill’ incroyable, ‘capotant’ ainsi qu’un service apprécié à ceux/celles qui apprécient ce ‘shortcut’ par la magnifique rivière des Outaouais!